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AMITIESTORY
17 novembre 2008

10°) BANQUET GONCOURT EN PRESENCE DE Georges CLEMENCEAU, EMILE ZOLA: 2 Mars 1895

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Le Journal - 2 mars 1895

LE BANQUET GONCOURT

On va vers la salle du banquet comme vers une salle de théâtre, à la même heure, dans le même apparat, la même lumière de boulevard. On présente son ticket, on se dirige vers sa place.

Ni fauteuil, ni loge, ni baignoire. Une chaise, et devant soi, une table, une assiette, un verre, un menu. Les actes et les entractes se présentent tout d’abord sous des aspects de potage, hors-d’œuvre, entrée, etc.

Le décor ? C’est le grand hall moderne, sculpté, vitré, doré, tapageur, une manière de buffet d’un train de luxe, de caravansérail d’exposition.

Les costumes ? Le héros de la fête est en habit noir, — les orateurs et toasteurs, en habit noir, — tous les convives, en habit noir, — les maîtres d’hôtel, les serveurs, les ouvreurs de portes, en habit noir. Le moderne Monsieur en habit noir, personnage anonyme et significatif d’Henriette Maréchal, apparaît ici multiplié, remuant, en un miroir à facettes.

La pièce ? Premier acte : l’arrivée, l’accueil à Goncourt. Deuxième acte : la rumeur du dîner, un éclat de conversations fondues en murmure, avivées de tintements et de chocs, — la diversité des dialogues, des échanges d’opinions, des dissertations, des plaisanteries, des rires, le chuchoté des remarques et des confidences, tout cela réuni en une brume de bruit, en une symphonie confuse et harmonieuse. On a la sensation de l’idée commune qui s’assimile toutes ces paroles et réunit tous ces hommes.

Les acteurs ?

Ils sont confondus avec les spectateurs. Chacun joue pour son compte, représente le personnage qu’il est dans la vie, en même temps qu’il prend librement sa place dans cette figuration rassemblée au nom de la Littérature. Quelques acteurs sont en vedette, incarnent des groupes, s’avancent comme des chefs de chœurs, parlent pour tous.

Le représentant de l’État, le consécrateur national, M. Raymond Poincaré, ministre de l’Instruction publique et des beaux-arts, cachète de rouge la boutonnière de Goncourt, et parle superbement, avec un tact exquis, de l’œuvre des deux frères, de l’indépendance de l’homme de lettres, de l’intervention gouvernementale.

L’académicien-poète, José-Maria de Heredia, célèbre d’une voix de cuivre les noces d’or de l’écrivain avec la Littérature.

Le journaliste Georges Clemenceau, politique devenu écrivain, resté sociologue et philosophe. C’est lui, la face énergique, les yeux riants, la parole brève, qui indique la courbe de la destinée littéraire de Goncourt, chevalier de Marie-Antoinette devenu l’historien de la Fille Élisa, allant toujours plus avant vers la beauté du vrai par probité d’art, grand ouvrier de l’émancipation humaine à l’aide du merveilleux outil de la langue française. C’est sur l’apologie du langage et de la patrie servis par l’œuvre des Goncourt que l’orateur termine, en phrases qui volent haut, qui donnent à tous la sensation du passage de l’esprit.

Le poète Henry de Régnier disserte délicatement de l’art de voir, de comprendre et d’écrire.

Le critique Henry Céard rend sensible, en phrases rythmées, la pénombre où vécut Goncourt aux années anciennes.

Deux romanciers :

Émile Zola dit ce que tous doivent à l’initiateur, offre en beau et cordial langage l’hommage de sa vie littéraire et de ses trente ans d’amitié.

Alphonse Daudet porte le toast final à l’ami de sa vie, à l’homme ennemi du mensonge, à celui qui, depuis Jean-Jacques, a le plus ardemment voulu la vérité.

Edmond de Goncourt se lève, ému, remerciant, oubliant toutes les tristesses, toutes les amertumes, et son honnête et beau visage est aussi éloquent que les mots entrecoupés qu’il prononce. J’assure maintenant à tous ceux qui n’étaient pas là, à ceux dont la pensée fut en sympathie, à ceux qui furent hostiles, qu’il ne fut plus question du décor du Grand-Hôtel, de ce que l’on avait mangé et bu, du costume que l’on avait revêtu, et même, j’ose affirmer que nul, à cette minute, ne songea au personnage qu’il représentait, à son intérêt d’existence, à ce qu’il penserait et ferait le lendemain. Il y eut, préparée par les grandes paroles entendues, par l’atmosphère d’admiration et d’affection, par la songerie qui s’empare de tous au souvenir de Jules de Goncourt, il y eut la belle minute d’oubli de soi-même et d’enthousiasme pour l’idée qui affirmait sa présence. C’est pour cette minute-là que tous nous étions venus, c’est elle que nous avons vécue à l’instant où nous avons acclamé le fier homme de lettres debout au milieu de nous.

Si la réunion avait besoin d’être justifiée, elle aurait sa justification dans cette unanimité de sentiment, créée par une préoccupation mise au-dessus du train ordinaire de la vie, par une fierté de tous à vouloir servir la même idée, d’art et d’humanité. Le spectacle avait sa sérénité, il avait aussi sa signification de combat. Est-ce la vie évoquée des Goncourt qui fit naître cette pensée ? est-ce le tumulte des voix et des applaudissements ? Il semblait que l’on assistait à une victoire, mais aussi à une nouvelle mise en marche, avec le combattant isolé de la veille devenu un général à cheveux blancs, toujours aussi ardent et prêt à l’aventure qu’aux matins des premiers départs.

C’est cette sensation d’art pur et de vie active qui restera de cette soirée. Que tous ceux qui ont ce grand honneur de tenir une plume gardent ce souvenir, sachent qu’ils sont les combattants d’un bon combat. L’homme de lettres, tel que Clemenceau l’a montré, seul, à sa table, traçant ses mots, assemble et dirige des troupes silencieuses, qui pourront rester à jamais vivantes et invincibles à travers le mêlée humaine. La fête d’hier, donnée à notre cher maître et ami Edmond de Goncourt, a été une fête de l’esprit. Restons fidèles à l’esprit !

GUSTAVE GEFFROY.

J’imagine qu’à la joie intime et fière de voir les Lettres et les Arts se concerter pour lui offrir la belle fête d’hier soir, a dû se mêler, dans l’esprit de M. Edmond de Goncourt, un peu de mélancolie.

Jamais, en effet, un livre comme La Faustin, une pièce comme La Patrie en danger, des pages d’histoire comme les études sur les œuvres, les hommes et les femmes du dix-huitième siècle ou des Mémoires du temps présent comme les sept volumes du Journal des Goncourt, n’ont valu à leurs auteurs l’explosion d’articles laudatifs qu’a déterminée la simple annonce de ce banquet.

C’était à qui en fournirait le dessert, champagne mousseux et friandises. Collection d’hommages, sélection de sympathies, élans d’admirations que s’est attaché à traduire et à résumer, aux yeux de tous les convives, le menu dessiné par Willette et qui, délicatement, associa le frère mort, représenté par son image, à l’apothéose du survivant glorifié.

M. Edmond de Goncourt va bientôt atteindre sa soixante-treizième année… Nul n’y voulait souscrire quand il est entré dans la salle du banquet, droit, haut de taille et d’allure, l’œil étonnamment jeune et vif, comme un charbon fondant la neige des cheveux et les flocons épars de la moustache. M. de Goncourt s’assoit entre MM. Poincaré et Alphonse Daudet, celui-là remis à peine d’une attaque de grippe dont il a précipité la guérison pour ne point faire faux-bond ; Daudet, lui, démentant, par sa vaillante présence et sa gaieté d’aspect, les bulletins de santé que la malveillance colporte.

Autour d’eux se groupent les membres du Comité d’organisation présents, qui sont :

Émile Zola, Georges Clemenceau, Henry Houssaye, Jules Chéret, Bracquemond, Mallarmé, de Heredia, Octave Mirbeau, Gustave Geffroy, Hennique, Ganderax, Hervieu, Ajalbert, Lecomte, Carrière, Roger Marx, Anatole France, Maurice Barrès, François de Nion, Léon Daudet, Céard, Claretie, Jean Dolent, Paul Alexis, F. Jourdain, Jean Lorrain, Rosny frères, Rops, Rodenbach, H. de Régnier, Marcel Schwob, G. Toudouze, Besnard, Catulle Mendès, Scholl, Aug. Rodin, de Montesquiou, Georges Charpentier, Antoine, Fasquelle, Pierre Gavarni.

Puis se distribuent entre les tables :

MM. Bardoux, l’ancien ministre de l’instruction publique ; le comte de Béhaine ; Clovis Hugues et Semblat, députés ; Fernand Xau ; les sculpteurs Bartholomé, Lenoir et A. Charpentier ; les peintres et dessinateurs Willette, Munkacay, Renouard, Odilon Redon, Roll, Signac, La Gandara, Duez, Damoye, Jeanniot, A. Guillaume, Maufra, Louis Legrand, Ibels, etc.

Georges Moreau, Jules Roques, Robert Mitchell, Georges Hugo, Paul Clemenceau, Albert Carré, directeur du Vaudeville ; Lugné-Poé, Dayot, Th. Duret.

Gustave Kahn, Léon Allard, Brulat, Belon, A. Boutique, E. Berr, A. Cim, E. Conte, Champsaur, Champier, Ed. Cousturier, Darzens, M. Lheureux, Ed. Dujardin, Delzant, P. Flat, Eudel, Ch. Foley, Furetières, P. Wolff, Ancey, A. Gassier, Gungel.

Vielé-Griffin, Ginisty, A. Hermant, F. Hérold, Désiré Louis, H. Lapauze, E. Morel, M. Leblanc, P. Maël, P. Sales, Jean Marras, Maizeroy, A. et T. Natanson, L. Mullem, Ch. Martel, Léon Millot, Mariéton, Pol Neveux.

Jules Renard, Pottecher, Pagat, E. Rod, Huret, Rzewusky, Saint-Cère, Servières, du Saussay, Stryensky, Jean Thorel, de Bonnefon, G. Guiches, Vaucaire, de Chamoisel, Lucien Daudet, Francis Jourdain, Duvauchel, Durand-Gréville, Guinaudeau, Shérard, V. Tissot, Ebner, G. Fabre, les acteurs Lafontaine, Truffier et Janvier, les docteurs Robin, Depasse, Vaquez, etc., etc.

Mais voici venue l’heure des discours et des toasts. M. Frantz Jourdain se lève et commence par lire des lettres de Sully-Prudhomme, Laurent Tailhade, qui vient d’entrer à nouveau dans la maison de santé du docteur Grimball ; Paul Marguerite, André Theuriet, Camille Mauclair, et des télégrammes de la Suède, de la Hollande, de l’Italie… La Suisse et la Belgique n’ont rien envoyé. Elles étaient représentées au banquet.

Ensuite M. Poincaré parle au nom du gouvernement ; M. de Heredia, au nom des colonies espagnoles ; M. Henry Céard, au nom de Renée Mauperin. M. Clemenceau, lui, parle d’abord pour dire pourquoi il parle ; puis, il développe les impressions d’un lecteur assidu des Goncourt.

Après M. Clemenceau, Zola parle, très loyalement, au nom de ses années d’apprentissage littéraire ; et M. Henry de Régnier parle au nom de la Jeunesse assagie… Je regarde Alphonse Daudet. C’est le seul moment de la soirée où je trouve exacte sa ressemblance avec le Christ pardonnant à ceux qui l’ont offensé. Mais le voici qui élève la voix à son tour et parle au nom de la vieille affection qui l’unit à Edmond de Goncourt.

Tous ces discours ont été fort applaudis et aucun d’eux n’a soulevé de propos interrupteurs.

Mais on a surtout remarqué la réelle éloquence et le goût parfaits avec lesquels M. Poincaré, ministre de l’instruction publique, a introduit le personnage officiel dans cette manifestation purement littéraire et artistique. C’est quand il a remis à M. de Goncourt la croix d’officier qu’on a bien vu que la façon de donner vaut décidément mieux que ce qu’on donne.

M. de Goncourt, contenant à peine son émotion, a pu dire qu’une telle soirée effaçait tous les déboires de sa longue et noble carrière.

Quelques personnes feignaient de croire que cette belle représentation n’aurait pas de lendemain. C’est une erreur. Le service de seconde sera reçu, dimanche soir, chez M. et Mme Georges Charpentier.

Lucien Descaves.

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